...et autres rêves
Dehors sous la bruine, il attend sagement dans son filet d’avoir trop chaud, d’avoir des boules, d’amuser les chattes, de perdre ses plumes sur la petite crèche. Un Nordmann à 24.95 €.
J’en ai rêvé.
A l’école je dessinais avec application une superposition de triangles, qu’il fallait colorier en vert pétaradant, et au bout de chaque branche des boules de toutes les couleurs.
J’étais enfant de l’autre côté de la mer, là où les sapins ne poussent pas. Il y avait des pins, des genévriers, des cyprès, mais pas de sapins.
Mon père rapportait de la ferme une tête de cyprès longiligne, il touchait le plafond du salon. Il était beau une fois décoré. Ma mère avait commandé dès l’automne quelques décorations qui venaient « de France », en verre soufflé, fragiles. Elle prenait des risques en plaçant des bougies fixées sur pinces dans la ramure de l’arbre. Notre déception de ne pas avoir de vrai sapin était vite oubliée quand l’arbre était éclairé, le soir avant notre coucher, et nous écoutions avec ferveur André Clavaux et Tania Constantine chanter Noël. Nous attendions le traineau, les clochettes, les rennes, nos jouets et la neige qui , elle, ne viendrait pas, ou peu.
Plus tard je suis allée vivre à la montagne, il y faisait neigeux et froid, je skiais au milieu des sapins et j’ai rêvé de cyprès et de leur parfum si particulier.
Devenue maman j’ai renoncé assez vite au sapin qui perdait ses aiguilles sur la moquette et bouchait l’aspirateur. Un synthétique ferait l’affaire. Il fallait déplier ses branches de métal recouvert d’aiguilles en plastique, y accrocher les guirlandes, les boules et les sujets, et Noël passé, replier ses ailes et le remettre dans son carton direction la cave de l’immeuble. Il est devenu très moche, et j’ai racheté des épiceas, des décorations et des aspirateurs. Parfum de sapin, jouets, chansons de Noël, paquets cadeaux et bolduc.
Une fois j’ai tenté l’arbre à replanter à la campagne : un cèdre aux aiguilles bleutées. Mes enfants ont hurlé, quoi ? il ne ressemble à rien ton sapin, il est petit -tout moche… Il mesure bien 10 mètres de haut maintenant.
Une année, nous devions passer Noël chez ma mère dans les Alpes, nous décorerions un sapin chez elle. Donc pas de sapin chez nous, pas de préparatifs dès l’Avent, j’étais occupée par une exposition.
Paris était gris.
Je suis partie.
Et nos vies ont pris un tour que je ne souhaite à personne.
Je suis rentrée à Paris aussitôt.
L’une des premières choses que j’aie faite a été d’aller chez le fleuriste incrédule, acheter un sapin, n’importe lequel, de récupérer les boules et guirlandes à la cave, le décorer, préparer un petit dîner.
Peut-on manger du foie gras quand on ne sait plus si on a encore une âme ? Oui.
Depuis, je prépare chaque année un arbre de Noël. Il a été rouge et vert. Ou blanc. Même noir, c’est chic a dit ma fille. Mwouais.
Cette année le sapin sera blanc et argenté.
Et je vais faire la crèche, des santons que ma mère m’a légués.
Demain.