...et autres rêves
Par Catherine Delhom
On raconte pas mal d'âneries sur la présence française en Afrique du Nord. Y compris en haut lieu.
Les derniers témoins de cette période disparaissent avec l'âge, qui restera-t-il pour témoigner ?
Dans tout ce qu'on peut lire il y a du vrai, du faux, de la légende et une réécriture de l'histoire qui souvent me dérange.
Chaque fois que je suis allée en touriste dans un pays du Maghreb j'ai eu la sensation de retrouver des racines, des couleurs, des parfums, et des gens qui m'étaient familiers.
Mes quelques mots d'Arabe ne servent pas à grand chose. Mon père parlait et écrivait couramment, je regrette qu'il ne m'ait pas transmis ça.
***
A Marrakech il y a longtemps, il faisait très chaud en Août.
Pour échapper aux enfants de la place Jemâa El Fna, on nous avait recommandé d'en embaucher un et de le garder pour le reste du séjour. Le nôtre, appelons le Djemel, devait avoir une dizaine d'années. J'ai recompté, il aurait 60 ans maintenant.
Il veut nous emmener en excursion, il nous le jure, la vallée de l'Ourika est un paradis verdoyant, plein de jardins et de fleurs, de restaurants.
Curieux, nous prenons le car local, un matin très tôt.
Rapidement le car est bondé, nous sommes les seuls européens, et moi la seule femme, aussi les regards se tournent souvent vers moi.
Les hommes qui montent transportent des tapis, une caisses, un mouton vivant ficelé, des matelas dedans ou sur le toit et vite il sature. Il y a même un homme sabre au côté.
Le car démarre, les gens mangent, boivent, parlent.
Le car s'arrête car quelqu'un veut descendre, il interpelle le chauffeur "El maalem"! (le patron), il faut descendre un matelas.
Plus loin on descend le mouton...
Au bout de la plaine, le car continue à gauche, nous allons à droite dans la montagne.
Djemel interpelle le chauffeur, on descend.
A milieu de nulle part.
Il fait chaud, on marche le long de la route.
On a faim, il est midi. un gamin pieds nus sort des buissons et nous propose des figues de barbarie qu'il épluche sans se piquer les doigts. C'est bon, malgré les pépins. On a soif, on finit l'eau.
Je veux faire demi-tour.
La correspondance va arriver dit Djemel. On marche, on attend, on a de plus en plus chaud.
Arrive le fameux car, encore plus rempli que le précédent, dedans et dessus. il est complet, le chauffeur ne veut pas nous prendre. Après de longs pourparlers que nous ne comprenons pas et la main au portefeuille, nous pouvons monter, debout coincés entre un dossier et un sac de farine.
Evidemment on ne peut rien voir du paysage, et arrivés à un village à 5h du soir, nous descendons et demandons au chauffeur à quelle heure il redescend à Marrakech.
Ah non, il est trop tard, je repartirai demain !
Notre avion de retour est le lendemain matin. La nuit vient vite dans ces pays. Il faut trouver une voiture.
On fait du porte-à-porte. Des maisons ocres, la route poussiéreuse, des chiens qui aboient sur notre passage.
Une chaude journée d'été, les gens ne sortent pas. Djemel se fait jeter.
Il trouve enfin un homme qui veut bien nous conduire.
Les yeux très rouges.
Il met juste un petit bidon d'essence dans le réservoir.
Une femme se précipite sur lui, hurlante, le dépouille du contenu de son portefeuille. Djemel traduit le berbère, elle ne veut pas qu'il dépense au bordel.
Et nous voilà partis dans une voiture sans banquettes, assis sur la tôle.
Le conducteur lance le moteur, fait une centaine de mètres, et coupe le contact, finit en roue libre, la voiture chassant sur les cailloux de la route pleine de trous, frôlant l'à-pic de la vallée. une fois deux fois, vingt fois.
D'habitude je n'ai pas mal au cœur en voiture, mais là, si.
La descente dure trop longtemps. Nous soufflons arrivés dans la plaine. à tort.
Le chauffeur arrête son moteur et nous demande le reste de l'argent. Il prend de l'essence à la petite station service.
Et le manège recommence, la route est droite, il lance le moteur et accélère à fond, puis coupe le contact.
Tant pis pour le troupeau de moutons sur la route, klaxon bloqué il fonce dans le tas, tant pis pour les agneaux récalcitrants.
Plus de peur que de mal , tous se sont écartés.
On arrive enfin aux remparts de Marrakech, l'homme se détend enfin et nous sourit, édenté.
On descend, il est content , il va pouvoir finir la journée en bonne compagnie.
***
Récemment j'ai pensé à eux tous...
Illustration Jacques Majorelle, Vallée de l'Ourika
Jacques Majorelle, un artiste orientaliste majeur
Jacques Majorelle, un artiste orientaliste majeur Jacques Majorelle, des premières années prometteuses 7 mars 1886. Louis Majorelle, ébéniste proche de la trentaine, donne naissance à son prem...
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